L’employeur non informé du mandat peut licencier un salarié protégé sans autorisation
C’est la loi, et en particulier l’article L. 2411-1 du Code du travail, qui accorde aux salariés titulaires d’un mandat, qu’il soit dans l’entreprise même ou extérieur à celle-ci, le bénéfice de la protection contre le licenciement, y compris lors d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.
Autrement dit, les salariés titulaires du mandat de délégué syndical, de délégué du personnel, ou encore de membre élu du comité d’entreprise, mais également de mandats extérieurs à l’entreprise – fonctions de conseiller prud’hommes, de conseiller du salarié ou bien de membre du conseil ou administrateur d’une caisse de sécurité sociale –, en bénéficiant de cette protection, ne peuvent voir leur licenciement notifié qu’après autorisation de l’inspecteur du travail.
Surgit alors une question : comment l’employeur peut-il solliciter cette autorisation s’il n’avait pas connaissance de l’existence du mandat dont était titulaire le salarié licencié ?
Certes les salariés se doivent, dans le cadre de leur obligation de loyauté envers leur employeur, d’informer ou du moins de rappeler à ce dernier qu’ils bénéficient d’une protection spéciale.
Toutefois, si la plupart des salariés respectent cette obligation d’information, ce n’est guère le cas de tous.
Dès lors, l’employeur, n’étant pas informé que son salarié bénéficie du statut protecteur dans la mesure où son mandat est extérieur à l’entreprise, n’applique pas la procédure adéquate et procède au licenciement du salarié concerné sans au préalable avoir demandé l’autorisation de l’inspecteur du travail.
Ce licenciement est d’autant plus risqué que si violation du statut protecteur il y a, les conséquences pour l’employeur sont lourdes puisque soit le salarié licencié demande sa réintégration dans son emploi précédent ou dans un emploi équivalent, soit, s’il refuse la réintégration, a droit à une indemnité pour violation de son statut protecteur égale à la rémunération qu’il aurait perçue de son éviction jusqu’à l’expiration de la période de sa protection, sauf fraude caractérisée de ce dernier.
Or, cette solution paraissait bien sévère à l’endroit de l’employeur qui, en raison de l’absence d’information du salarié, n’était amené à mettre en œuvre que la procédure « normale » de licenciement.
Saisie de la question prioritaire de constitutionnalité présentant le moyen tiré d’une atteinte au principe d’égalité et de la liberté d’entreprendre en ce que les dispositions légales ne prévoient pas, lorsque le salarié est investi d’un mandat extérieur de l’entreprise, l’obligation pour celui-ci d’en informer son employeur de sorte que ce dernier se trouve exposé, en cas de rupture du contrat de travail de ce salarié intervenue en l’absence d’autorisation administrative, à des sanctions notamment pénales, la Cour de cassation la renvoyait le 7 mars 2012 au Conseil constitutionnel (Cass. Soc., 7 mars 2012, n°11-40.106).
Le Conseil constitutionnel, s’il a, par décision du 14 mai 2012, jugé conforme à la Constitution la protection instituée par l’article L. 2411-1 13° du Code du travail en faveur des salariés exerçant un mandat de membre du conseil ou d’administrateur d’une caisse de sécurité sociale en exposant qu’une telle protection vise à préserver leur indépendance dans l’exercice de leurs fonctions et poursuit un but d’intérêt général, a tout de même émis une réserve quant à la constitutionnalité de ce texte en considérant que ces dispositions « ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, permettre au salarié protégé de se prévaloir d’une telle protection dès lors qu’il est établi qu’il n’en a pas informé son employeur ou plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement ».
Autrement dit, le salarié qui n’informerait pas son employeur avant cette échéance, soit au plus tard lors de l’entretien préalable, ne pourrait pas ensuite se prévaloir de son statut protecteur pour remettre en cause son licenciement. Il ne peut dès lors être reproché à l’employeur de ne pas avoir saisi l’inspecteur du travail pour autorisation avant de rompre le contrat de travail, à moins que ne soit rapportée la preuve que l’employeur avait eu connaissance de l’existence du mandat par ses propres moyens.
Et, bien que la décision du Conseil constitutionnel se limitait aux seuls textes concernant le membre du conseil ou l’administrateur d’une caisse de sécurité sociale, sa portée est plus large et concerne l’ensemble des mandats extérieurs à l’entreprise.
C’est ainsi que, dans un arrêt rendu en date du 14 septembre 2012, la Cour de cassation a considéré que le salarié titulaire d’un mandat de conseiller prud’hommes, mentionné à l’article L. 2411-1 du Code du travail, ne pouvait se prévaloir de la protection dont il est normalement bénéficiaire que si, au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement, ou, s’il s’agit d’une rupture ne nécessitant pas un entretien préalable, au plus tard avant la notification de l’acte, il a informé l’employeur de l’existence de ce mandat ou s’il rapporte la preuve que l’employeur en avait alors connaissance (Cass. Soc., 14 septembre 2012, n°11-21.307).
La Haute juridiction n’a eu de cesse de forger cette jurisprudence en précisant que cette règle s’applique également en cas de changement d’employeur par application de l’article L. 1224-1 du Code du travail (Cass. Soc., 15 avril 2015, n°13-25.283).
Par ailleurs, le fait que l’employeur ait été informé de la candidature à la fonction de conseiller ou de la participation à des actions de formation ne préjuge pas qu’il ait été informé de la qualité de conseiller ni de l’objet de ces formations au moment de l’entretien (Cass. Soc., 4 novembre 2015, n°14-13.232).
De même, l’information de l’employeur qui conditionne le bénéfice du statut protecteur doit être renouvelée à chaque élection générale ou désignation.
Enfin, dans la continuité de cette jurisprudence qui tend à protéger l’employeur contre le salarié qui ne l’aurait pas informé de son mandat, la Cour de cassation s’est, encore très récemment, prononcée.
Cette fois-ci, au-delà de l’employeur, c’est aussi le liquidateur judiciaire, lorsque l’entreprise est sous le joug d’une liquidation judiciaire, qui doit être informé par le salarié de son statut protecteur.
Ainsi, pour la Cour de cassation, il appartient au salarié qui se prévaut de son statut protecteur d’établir qu’il a informé le liquidateur judiciaire de l’existence de son mandat ou qu’à défaut ce dernier en avait été informé par l’employeur « au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement, ou, s’il s’agit d’une rupture ne nécessitant pas un entretien préalable, au plus tard avant la notification de l’acte de rupture, ou que le liquidateur en avait connaissance » (Cass. Soc., 1er juin 2017, n°16-12.221).
Il importe toutefois de préciser que l’absence d’information par le salarié de la protection dont il bénéficie au titre d’un mandat extérieur, si elle lui fait perdre le bénéfice de la protection, n’en est pas pour autant fautive. En ce sens, elle ne constitue pas l’usage d’une fausse qualité au sens de l’article 313-1 du Code pénal, de nature à caractériser une escroquerie (Cass. Crim., 14 avril 2015, n°14-81.188).
Les solutions dégagées par la Cour de cassation ne font donc guère plus de doute : à l’impossible nul n’est tenu. L’employeur non informé ne saurait être sanctionné pour un licenciement prononcé contre un salarié ayant violé son obligation d’information.