Préjudice et réparation

En commettant ou en laissant commettre un harcèlement moral, l’employeur engage sa responsabilité. En effet, l’existence d’un harcèlement est en elle-même une faute appelant une double réparation.
Le harcèlement moral est interdit par l’article L. 1152-1 du Code du travail, dont le non-respect permet au salarié victime de demander réparation.
Sur ce point, la jurisprudence est ferme : « un harcèlement moral, lorsqu’il est constitué, cause nécessaire un préjudice » (Cass. Soc., 6 mai 2014, n°12-25.253). Aujourd’hui encore, l’essentiel du contentieux de la réparation de ce préjudice se noue devant le juge prud’homal. Cette action en réparation est le plus souvent dirigée contre l’employeur, même lorsqu’il n’est pas l’auteur (matériel ou intellectuel) des actes de harcèlement.
Afin de faciliter l’indemnisation du salarié, le principe a été posé, selon lequel lorsque le harcèlement moral est constitué, il cause « nécessairement » un préjudice au salarié (Cass. Soc., 6 mai 2014, n°12-25.253).
Le recours à cette notion de « préjudice nécessaire » permet d’alléger la charge de la preuve du salarié, même si elle a été adoucie depuis la loi du 8 aout 2016 dite « Loi Travail ».
En réalité, cela est logique compte tenu de l’objectif de protection du droit à la santé.
Et, s’agissant de faits graves en matière de harcèlement moral, cette jurisprudence devrait se maintenir, la santé mentale étant une « composante de la santé » (Cass. Soc., 10 février 2016, n°14-26.909).
Le juge prud’homal ne vise finalement qu’assez rarement le fondement délictuel ou contractuel des condamnations prononcées, qui donnent lieu, dans la plupart des cas, au versement d’une indemnité spécifique et distincte de celle qui répare l’illégitimité de la rupture par ailleurs reconnue.
Ainsi, le 25 juin 2007, la Cour de Cassation a jugé que « Le juge peut retenir l'existence de faits de harcèlement moral et fixer le montant des dommages-intérêts sans qu'il soit nécessaire que l'inspection du travail ait retenu une infraction à l'encontre de l'employeur ».
Dans cette affaire, l’employeur condamné à payer au salarié des dommages-intérêts pour harcèlement moral, invoquait à l'encontre de cette décision le fait notamment que l'inspection du travail n'avait retenu aucune infraction à son égard.
Autrement dit, les juges du fond apprécient souverainement le montant du préjudice (Cass. Soc., 29 janvier 2013, n°11-23.743 ; Cass. Soc., 29 septembre 2014, n°12-28.679). Le salarié, n’ayant demandé que des dommages-intérêts réparant le préjudice causé par un comportement de l’employeur dont il soutenait qu’il était constitutif d’un harcèlement moral, ne peut ainsi, sous le couvert d’une critique de la qualification du comportement fautif de l’employeur retenue par la Cour d’appel, mais indifférente à la mise en œuvre de la responsabilité de la société, remettre en cause, devant la Cour de cassation, l’évaluation souveraine par les juges du fond du préjudice subi par le salarié (Cass. Soc., 29 janvier 2013, n°11-22.867).
Aussi, les héritiers ou légataires universels de la victime (décédée) d’un harcèlement moral peuvent demander, en justice, la réparation du préjudice subi par la victime avant son décès (action successorale), peu important que la victime ait engagé ou non l’action de son vivant (Cass. Crim., 5 février 2013, n°11-89.125).
De même, le salarié harcelé et licencié peut évidemment cumuler des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts pour harcèlement moral (Cass. Soc., 19 janvier 2012, n°10-30.483). De même, une Cour d’appel peut, à bon droit, réparer les préjudices distincts résultant de la perte de l’emploi, des agissements de harcèlement moral et des sanctions disciplinaires injustifiées (Cass. Soc., 30 novembre 2011, n°11-10.527).
En revanche, il n’est pas possible de demander au juge de sanctionner l’auteur du harcèlement, par exemple en ordonnant à l’employeur de le licencier, bien que le harcèlement moral caractérise nécessairement une faute grave.
Par ailleurs et surtout, si le harcèlement moral permet au salarié victime de demander réparation comme vu précédemment, il caractérise également une violation de l’obligation de sécurité de l’employeur, qui doit tout mettre en œuvre pour préserver la santé et la sécurité des salariés.
Et pour cause, il pèse sur l’employeur une obligation de prévention des actes de harcèlement moral en vertu de l’article L. 1152-4 du Code du travail. L’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 impose également l’obligation de prévention du harcèlement moral à l’employeur.
En ce sens, l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir de tels agissements.
Ainsi, la méconnaissance de l’obligation de prévention entraine donc un préjudice réparable distinct du préjudice résultant du harcèlement moral.
La Cour de cassation a récemment confirmé ce point dans d’une décision du 19 novembre 2014.
Dès lors, la victime de harcèlement moral peut être indemnisée au titre du préjudice résultant du harcèlement moral en lui-même mais également au titre du préjudice résultant de la méconnaissance de l’obligation de prévention de l’employeur (Cass. Soc., 19 novembre 2014, n°13-17.729).
En l’espèce, un salarié embauché en tant qu’aide conducteur a démissionné après avoir subi des agissements de harcèlement moral.
L’employeur avait organisé à la suite de cet incident une réunion d’apaisement au cours de laquelle le supérieur hiérarchique, auteur des agissements de harcèlement moral, avait présenté des excuses, puis a procédé à la mutation du salarié sans que cela emporte une rétrogradation. L’employeur avait également mis en place une cellule visant à prévenir les risques psychosociaux. Cependant, le salarié avait tout de même démissionné.
Quelques mois plus tard, le salarié saisissait le Conseil des prud’hommes pour voir requalifier sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation de l’employeur à lui verser diverses sommes au titre de la rupture de son contrat de travail et de l’indemnisation du harcèlement moral.
La Cour d’appel a alors condamné l’employeur à réparer le dommage résultant de la violation de son obligation de sécurité de résultat et le dommage résultant du harcèlement lui-même.
La Haute juridiction a confirmé le raisonnement des juges du fond : « mais attendu que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cet obligation, lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements.
Et attendu que la Cour d’appel a alloué des sommes distinctes correspondant au préjudice résultant d’une part de l’absence de prévention par l’employeur des faits de harcèlement et d’autre part des conséquences du harcèlement effectivement subi,
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ».
Dès lors que des agissements constitutifs de harcèlement surviennent au sein de l’entreprise, l’employeur manque à son obligation de prévention même s’il prend des mesures visant à faire cesser les agissements. Et, cette violation donne lieu à réparation d’un préjudice distinct du préjudice résultant des conséquences du harcèlement en lui-même.